Séquence V - Lectures complémentaires II, Les Contemplations

Publié le par La Prof

Romantisme


 

Il est difficile de résumer  une œuvre poétique aussi riche et massive que les Contemplations de Victor Hugo : ce recueil rassemble en deux volumes, chacun composé de trois livres, des poèmes écrits sur plus de vingt ans, de 1834 à 1855. J’ai donc choisi de vous présenter cet ouvrage par l’intermédiaire d’un extrait de la préface écrite par Hugo, et de quelques poèmes choisis (certains étant très longs, mon choix s’est effectué parmi les plus courts du recueil). A toutes fins utiles, je vous rappelle que la lecture complémentaire ne porte pas sur l'ensemble des Contemplations, mais sur l'un des six livres, selon votre préférence.


"Qu’est-ce que les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait appeler, si le mot n’avait quelque prétention, les Mémoires d’une âme.

 

Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C’est l’existence humaine sortant de l’énigme du berceau et aboutissant à l’énigme du cercueil ; c’est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir, et qui s’arrête éperdu « au bord de l’infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l’abîme.

 

Une destinée est écrite là jour à jour.

 

Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! […]

 

Nous venons de le dire, c’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes : Autrefois, Aujourd’hui. Un abîme les sépare, le tombeau."

 

                                                                                                                     Victor Hugo, Guernesey, mars 1856

 



 


VOLUME I : AUTREFOIS, 1830-1842

 

Livre premier – Aurore

 

C'est le livre de la jeunesse, évoquant les souvenirs de collège du poète, ses premiers émois amoureux et ses premières luttes littéraires.

 

Le poète s’en va dans les champs

 

Le poète s'en va dans les champs ; il admire,

Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;

Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,

Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,

Celles qui des paons même éclipseraient les queues,

Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,

Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,

De petits airs penchés ou de grands airs coquets,

Et, familièrement, car cela sied aux belles :

- Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.

Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,

Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,

Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,

Les saules tout ridés, les chênes vénérables,

L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,

Comme les ulémas quand paraît le muphti,

Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre

Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,

Contemplent de son front la sereine lueur,

Et murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur !

 

 


Livre deuxième – L’Ame en fleur

 

C'est le livre des amours, constitué de poèmes évoquant les premiers temps de l'union de Victor Hugo avec Juliette Drouet 


« Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux »

 

Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux.

Comme le soleil fait serein ou pluvieux

L'azur dont il est l'âme et que sa clarté dore,

Tu peux m'emplir de brume ou m'inonder d'aurore.

Du haut de ta splendeur, si pure qu'en ses plis,

Tu sembles une femme enfermée en un lys,

Et qu'à d'autres moments, l'oeil qu'éblouit ton âme

Croit voir, en te voyant, un lys dans une femme.

Si tu m'as souri, Dieu! tout mon être bondit!

Si, Madame, au milieu de tous, vous m'avez dit,

A haute voix: -Bonjour, Monsieur-, et bas: -Je t'aime!-

Si tu m'as caressé de ton regard suprême,

Je vis! je suis léger, je suis fier, je suis grand;

Ta prunelle m'éclaire en me transfigurant;

J'ai le reflet charmant des yeux dont tu m'accueilles;

Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,

On sent de la gaîté sous chacun de mes mots;

Je cours, je vais, je ris; plus d'ennuis, plus de maux;

Et je chante, et voilà sur mon front la jeunesse!

Mais que ton coeur injuste, un jour, me méconnaisse;

Qu'il me faille porter en moi, jusqu'à demain,

L'énigme de ta main retirée à ma main;

-- Qu'ai-je fait? qu'avait-elle? Elle avait quelque chose.

Pourquoi, dans la rumeur du salon où l'on cause,

Personne n'entendant, me disait-elle vous? --

Si je ne sais quel froid dans ton regard si doux

A passé comme passe au ciel une nuée,

Je sens mon âme en moi toute diminuée;

Je m'en vais, courbé, las, sombre comme un aïeul;

Il semble que sur moi, secouant son linceul,

Se soit soudain penché le noir vieillard Décembre;

Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre;

Le chagrin -- âge et deuil, hélas! ont le même air, --

Assombrit chaque trait de mon visage amer,

Et m'y creuse une ride avec sa main pesante.

Joyeux, j'ai vingt-cinq ans; triste, j'en ai soixante.

 

 
Livre troisième – Les Luttes et les rêves


C'est le livre de la pitié, et le premier pas vers la considération par le poète de la misère du monde.

 

« Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément »

 

Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément

Où les vivants pensifs travaillent tristement,

Et qui donne à regret à cette race humaine

Un peu de pain pour tant de labeur et de peine;

Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats;

Des cités d'où s'en vont, en se tordant les bras,

La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables;

L'orgueil chez les puissants et chez les misérables;

La haine au cœur de tous; la mort, spectre sans yeux,

Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux;

Sur tous les hauts sommets des brumes répandues;

Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues;

Toutes les passions engendrant tous les mots;

Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux;

Là le désert torride, ici les froids polaires;

Des océans émus de subites colères,

Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit;

Des continents couverts de fumée et de bruit,

Où, deux torches aux mains, rugit la guerre infâme,

Où toujours quelque part fume une ville en flamme,

Où se heurtent sanglants les peuples furieux; --

 

Et que tout cela fasse un astre dans les cieux!

 





VOLUME II : AUJOURD’HUI, 1843-1855
 

Livre quatrième : Pauca Meae

 

Ce livre est celui du deuil: le poète tente d'établir une forme de communication avec sa fille Léopoldine, décédée en 1843. C'est d'elle qu'il est question dans les deux poèmes choisis, dont le second,  "Demain, dès l'aube", est l'un des plus célèbres de Victor Hugo.

« Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin »

 

Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin

De venir dans ma chambre un peu chaque matin;

Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;

Elle entrait et disait : -Bonjour, mon petit père;-

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait

Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,

Et mainte page blanche entre ses mains froissée

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,

Et c'était un esprit avant d'être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh! que de soirs d'hiver radieux et charmants,

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu!

J'appelais cette vie être content de peu!

Et dire qu'elle est morte! hélas! que Dieu m'assiste!

Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste;

J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

 

 

« Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne »

 

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

 

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.



Livre cinquième : En Marche

 

C'est le livre de l'énergie retrouvée, dans lequel le poète, exilé pour des raisons politiques, va chercher de nouvelles raisons de vivre au travers de la la méditation.

 

Au fils d’un poète

 

Enfant, laisse aux mers inquiètes

Le naufragé, tribun ou roi;

Laisse s'en aller les poëtes!

La poésie est près de toi.

 

Elle t'échauffe, elle t'inspire,

O cher enfant, doux alcyon,

Car ta mère en est le sourire,

Et ton père en est le rayon.

 

Les yeux en pleurs, tu me demandes

Où je vais, et pourquoi je pars.

Je n'en sais rien; les mers sont grandes;

L'exil s'ouvre de toutes parts.

 

Ce que Dieu nous donne, il nous l'ôte,

Adieu, patrie! adieu, Sion!

Le proscrit n'est pas même un hôte,

Enfant, c'est une vision.

 

Il entre, il s'assied, puis se lève,

Reprend son bâton et s'en va.

Sa vie erre de grève en grève

Sous le souffle de Jéhovah.

 

Il fuit sur les vagues profondes,

Sans repos, toujours en avant.

Qu'importe ce qu'en font les ondes!

Qu'importe ce qu'en fait le vent

 

Garde, enfant, dans ta jeune tête

Ce souvenir mystérieux,

Tu l'as vu dans une tempête

Passer comme l'éclair des cieux.

 

Son âme aux chocs habituée

Traversait l'orage et le bruit.

D'où sortait-il? De la nuée.

Où s'enfonçait-il? Dans la nuit.




Livre sixième : Au Bord de l’infini

 

C'est le livre des certitudes. Il y règne une ambiance fantastique et surnaturelle, traversée de spectres, d'anges et d'esprits qui apportent des révélations au poète. L'angoisse alterne encore avec l'espérance, mais c'est finalement l'espérance qui l'emporte.

 

« Ô gouffre ! l'âme plonge et rapporte le doute »

 

Ô gouffre ! l'âme plonge et rapporte le doute.

Nous entendons sur nous les heures, goutte à goutte,

Tomber comme l'eau sur les plombs ;

L'homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre ;

Les formes de la nuit vont et viennent dans l'ombre;

Et nous, pâles, nous contemplons.

 

Nous contemplons l'obscur, l'inconnu, l'invisible.

Nous sondons le réel, l'idéal, le possible,

L'être, spectre toujours présent.

Nous regardons trembler l'ombre indéterminée.

Nous sommes accoudés sur notre destinée,

L'œil fixe et l'esprit frémissant.

 

Nous épions des bruits dans ces vides funèbres ;

Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,

Dont frissonne l'obscurité ;

Et, par moment, perdus dans les nuits insondables,

Nous voyons s'éclairer de lueurs formidables,
La vitre de l'éternité.

Publié dans Séquence en cours

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